Pensée du complexe

Cela fait 38 ans que je "traque" ce type particulier de pensée. Je l’avais énoncé au début des années 80 en prétendant, dans une revue de gestion, que nous devions positionner notre raison dans un « cube tactique » ! Dans l’observation visuelle extérieure d’un cube, toutes les faces ne sont pas visibles. Il faut sortir de son point de vue (perspective) pour aller au-delà du donné, c’est-à-dire de la perception immédiate. Edgar MORIN a par contre trouver les mots : « pensée complexe ». Pour d'autres, c'est la "pensée dialectique du complexe". Je préfère « pensée DU complexe ».
À partir d’un socle indispensable à toute construction logique, nous « raisonnons » essentiellement avec la « logique (standard) de Port-Royal » : traitement des idées, du jugement, du raisonnement et de la méthode. Cette logique bivalente, propre à notre système linguistique, repose sur la règle fondamentale du « tiers-exclu » : il ne peut exister 3 choix possibles entre 2 valeurs ! Linguistiquement, cette logique influe à son tour sur la manière dont nous conceptualisons un « monde commun », tout en construisant nos concepts moraux. C’est donc une pratique théorisée, car la forme de la pensée n’est pas la manière de penser. Dans la perspective de l’idéalisme transcendantal de KANT, on ne peut disjoindre théorie et pratique. Dans sa « catégorie de la causalité », la théorie fonde la pratique, mais la connaissance dérive de l'expérience et la théorie doit s'y appliquer, car « l'expérience n 'est possible que par la représentation d ' une liaison nécessaire des perceptions » (Critique de la raison pure), c'est-à-dire la possibilité même d ' une connaissance. Pour le citoyen commun du XXIe siècle, son « existentiel », au sens transcendantal de KANT ( langue, vie, travail ) repose le droit contre la loi. PRO JURE CONTRA LEGEM devient la loi , tant est prégnant chez tout être humain le sentiment spontané de justice sociale, un sentiment qui n’est en rien dépendant de considérations hypothétiques (Théorie et pratique ).
Une pensée analytique et binaire « voit » le champ politique comme un lieu d’affrontements ou d’alliances entre des forces prises 2 à 2 : la gauche contre la droite, le Front de Gauche contre le PS, le PCF contre ou avec le PG. La " lutte de classe " est ramenée à une lutte entre un intérêt individuel de recherche d'avantages et un intérêt individuel de défendre l'intérêt général, ne serait-ce que pour la survie de l'espèce (quant à l'environnement par exemple et la biodiversité sur tous les plans, nécessaire à la survie de l'humanité).
Cette logique binaire n'est pas suffisante pour décider dans un monde incertain, car la certitude n'existe pas dans l'univers réel de leur prise de décision. En adoptant une logique alternative, induite par la « pensée du complexe », nous ouvrons de fait un projet LOGICISTE. En effet, les relations entre logique standard et logique alternative sont possibles, dans la mesure où cette dernière est partie propre de l’ensemble des théorèmes de la première. De fait, nous remplaçons la bivalence du « tiers exclu » et de la « non-contradiction » par une « graduation de la vérité ».
La « pensée du complexe », englobant la pensée analytique et linéaire, peut fournir directement des outils à une politique de transformation sociale et d’émancipation. Cette politique doit se baser sur une analyse aussi pertinente que possible d’une situation actuelle complexe.
- - Les réductionnistes privilégient l'analyse en parties de plus en plus petites qu'ils considèrent comme nécessaire et suffisante pour reconstituer la réalité.
- - Les holistes refusent cette approche, car pour eux “ le tout est plus que la somme des parties ", ce dont ils déduisent que l'étude des parties n'apprend rien du tout.
Memento finis

Toutefois, une somme de probabilités ne fera jamais une certitude.
Contradictions de la réalité
La réalité est contradictoire : pas une lumière sans ombre, nul savoir sans ignorance, nulle certitude sans doute, nul bonheur sans souffrance.
La nature est inséparable de celle ou celui qui la perçoit. Il n'existe pas plus d'objet que de sujet absolu. L'objet n'a de sens que regardé par un sujet. Autant de sujets, autant de regards, autant d’objets.
Il serait ainsi idiot de prétendre que la matière a créé le mouvement ou vice-versa, puisque matière et mouvement sont inséparables.
Comme il serait faux de prétendre que la conscience détermine l'existence.
Mais, si l'existence est matière et la conscience mouvement, il serait tout aussi faux de prétendre que l'existence détermine la conscience.
Existence et conscience sont inséparables.
Ce qui ne théorise pas pour autant le relativisme. Il existe une réalité objective indépendante de notre conscience.
Pour les relativistes, les normes de la rationalité ne sont ni absolues ni universelles. Le consensus autour d’une théorie ne serait pas de nature logique, il serait socialement construit par l’adoption de stratégies adéquates au sein des réseaux scientifiques. Pour les rationalistes, au contraire, l’adoption d’une théorie repose sur la preuve scientifique, c’est-à-dire sur une argumentation logique, qui entraîne un consensus des savants. Dominique Raynaud, Sociologie des controverses scientifiques (2003

Sapere aude
" La libération de la superstition s'appelle les Lumières." (1)
" Un public ne peut accéder que lentement aux Lumières. Par une révolution on peut bien obtenir la chute d'un despotisme personnel ou la fin d'une opppression reposant sur la soif d'argent ou de domination, mais jamais une vraie réforme du mode de penser ; mais, au contraire, de nouveaux préjugés serviront, au même titre que les anciens, en tenir en lisière ce grand nombre dépourvu de pensée." (2)
Emmanuel KANT
1 - Critique de la faculté de juger, 1790
2 - Qu'est-ce que les Lumières ? , 1784